Extra Nuit ft. Wendy Martinez

À 2h06, M. rêve de B., qui a la même heure chez lui, rêve de M..

Ils ne le sauront jamais.

À minuit 02, parce qu’ils disent qu’il ne faut pas se coucher après minuit, sous peine de se renverser tout à fait, et la nuit coulerait sur le jour, A. se couche fiévreusement. Elle doit se lever tôt demain mais, précisément à cause de ce réveil qui la terrifie, qui rappelle ce nouveau jour d’un travail qu’elle déteste, elle ne sait plus dormir. Elle ne sait plus comment cesser d’avoir peur... Alors elle lutte dans son lit, toute allumée, toute électrique.

À 3h07, V. ouvre les yeux. Elle fixe le grand corps endormi à côté d’elle, comme un trésor inespéré. Elle n’ose pas bouger de peur de réveiller E. qui s’est endormi le bras autour de sa taille. Pourtant au dedans elle exulte. Et elle est terrifiée aussi. Leur première nuit était trop belle. Il faudrait mourir tout à fait après cette petite mort. Comment peut-on survivre à ça ? Comment pourront-ils jamais maintenir ce degré d’intensité ? Sous ses veines coulent des rivières d’or, et des filaments de lumière passent sans cesse sous ses paupières fatiguées. Elle n’a pas dormi, et elle ne dormira pas de la nuit, pourtant elle ne s’est jamais sentie aussi vivante. Demain n’est qu’une grande promesse, une aube perpétuelle.

À 19h20, C. décapsule sa première bière. D. lui a parlé aujourd’hui. L’air du soir apporte de tièdes exhalaisons de feuilles mortes. Elle se sent bien. Elle ne boira pas plus ce soir.

Une voiture passe. L’air se charge d’essence. Les voisins allument la radio, trop fort. Elle croise son visage dans le miroir de la salle de bain quand elle part vider sa vessie.

Tu as vieilli, se dit-elle. Elle n’osera jamais demander à D. de sortir un soir.

Subitement elle se sent seule. Son corps se tend, sa mâchoire se crispe. Tu es folle, ma pauvre fille, se dit-elle. Tu es folle.

Elle ouvre le frigo, saisit une deuxième bière. On verra demain.